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« Starmania » à la Seine Musicale

Le 8 novembre 2022 avait lieu à la Seine Musicale la grande première de la reprise de « Starmania », l’opéra rock de Michel Berger et Luc Plamondon, mis en scène par Thomas Jolly. Après trois ans de préparation, cette nouvelle version du spectacle (repoussée pour cause de Covid) intriguait par le peu d’informations et le casting dévoilé seulement au moment des avant-premières. Nombreuses étaient les attentes d’un public qui a été bercé par des titres aussi célèbres que « Le Blues du businessman », « Le Monde est stone » ou encore « Quand on arrive en ville » et c’est une Seine Musicale pleine à craquer qui a eu le plaisir de redécouvrir les aventures de Johnny Rockfort, Ziggy ou Marie-Jeanne.

Dès les premières notes de l’ouverture jouées (quel bonheur !) par des musiciens en live placés sur les côtés du plateau, le public frémit : un piano blanc sur la scène, un pianiste de dos, les cheveux bouclés, qui rappellent évidemment le regretté compositeur de l’œuvre, Michel Berger. On comprend alors que l’émotion va être à son comble tout au long de la soirée. D’abord dans la pénombre, Cristal entre en scène pour entonner « Monopolis ». On découvre alors l’immense structure représentant la ville imaginée par Luc Plamondon et Michel Berger en 1978. Les autres personnages apparaissent au fil de la chanson, dissimulés dans le décor. Et c’est là que l’histoire commence : Zéro Janvier, constructeur de gratte-ciel, conservateur et ancien militaire, se lance en politique pour devenir Président de l’Occident et séduit Stella Spotlight, une comédienne à succès. Il est défié par le Grand Gourou Marabout qui vient de lancer son parti écologique. Pendant ce temps, les Etoiles Noires, avec à leur tête Johnny Rockfort et Sadia, terrorisent la ville. Marie-Jeanne, la serveuse automate, observe tout cela de loin en attendant celui qu’elle aime éperdument, Ziggy…

 

Ce qui frappe évidemment dans cette nouvelle version est l’aspect très actuel de ce récit, pourtant créé en pleine période disco : la montée des extrêmes, l’écologie, la starification d’inconnus, l’homosexualité… Tant de thèmes mis en valeur par cette relecture de l’œuvre et qui montrent à quel point ses créateurs étaient visionnaires. Par ailleurs, on ne joue pas ici sur le cliché. Les jeux d’ombres et lumières ainsi que les costumes font transparaitre les différents univers : les paillettes pour le monde illusoire de Télé Capitale et de Zéro Janvier, la noirceur des ruelles dangereuses fréquentées par les Etoiles Noires. On insiste sur cette violence des grandes villes européennes de façon très précise et prenante. Afin de faire évoluer l’histoire, on n’hésite pas à couper certains tubes comme « Quand on arrive en ville » au profit de la mise en place de l’intrigue.

 

Les arrangements musicaux reprennent majoritairement la version originale, ce qui ravira les plus nostalgiques et qui permettra un retour aux sources de cette œuvre  magistrale. On retrouve par exemple le personnage du Gourou Marabout et la chanson « Paranoïa » pour une scène des plus chaudes. Cependant, nous retrouvons également des clins d’œil aux autres versions comme avec le magnifique « Duo d’adieu » (à la scénographie tellement en accord avec le texte). Enfin, les passages de journaux télévisés sont dits avec la voix du metteur en scène, ce qui apporte un aspect à nouveau très actuel à la pièce. 


Parlons justement de la mise en scène de Thomas Jolly. Quel plaisir de voir cet opéra rock vu par un homme de théâtre ! En effet, celui-ci a voulu mettre l’accent sur l’histoire et c’est parfaitement réussi. Si les chansons sont tellement connues que certains ignorent qu’elles sont issues de ce spectacle, cette nouvelle version leur redonne une nouvelle couleur, au service de la narration. Les interprètes, parfaitement choisis pour leurs rôles, ont été dirigés avec beaucoup d’élégance et de vérité pour donner vie à ces personnages si riches et vibrants. Par l’utilisation de lumières grandioses, ceux-ci se retrouvent enfermés dans une situation qui ne leur laisse pas d’espoir de sortie. « Starmania », c’est l’histoire de caractères peu satisfaits de leur vie ou de leur place dans la société mais qui ne prennent pas les bonnes décisions pour s’en délivrer. Ce mal de vivre se ressent de façon très nette dans la mise en scène qui, par ces jeux de lumière, met les personnages comme dans les barreaux d’une prison, dorée ou non. Que ce soit l’envie de gloire, d’ordre, de pouvoir, d’amour ou de liberté, les personnages sont utilisés, dupés, mais ne peuvent pas s’en sortir. A la manière de la tragédie grecque, c’est comme un piège qui se referme sur chacun d’entre eux qui va à sa perte. 


Loin des clichés, les personnages sont représentés de façon réaliste et juste, sans surjouer l’émotion. La déchirure du « SOS d’un terrien en détresse », la solitude des « Adieux d’un sex symbol », la sincérité d’ « Un garçon pas comme les autres » collent parfaitement à l’histoire et nous touchent particulièrement. On notera également des morceaux de bravoure comme « Le blues du businessman » dans une version extraordinaire, aussi bien visuellement que vocalement, ou encore « La chanson de Ziggy » avec son tableau chorégraphique si époustouflant et dynamique. N’oublions pas non plus un « Besoin d’amour » explosif et un « Banlieue Nord » qui nous fera quitter la scène pour suivre les personnages en coulisses grâce à la vidéo. Autre moment d’émotion : un hologramme de France Gall chantant « Monopolis » dans sa tenue de scène des années 70. 


Les décors se mêlent aux lumières pour créer une ambiance particulière. On est ravi de découvrir l’escalier qui mène au célèbre Underground Café dans les souterrains de la ville. Des écrans télé sont disséminés dans le bar pour permettre à Marie-Jeanne de suivre les nouvelles. La grande structure représentant les buildings de Monopolis et le Naziland se décompose pour figurer divers lieux comme l’appartement de Stella, cossu et chic, ou les sous-sols de la Tour dorée. On adore également les grandes colonnes écrans mobiles qui diffusent les journaux télévisés. 

« Starmania », un spectacle événement à ne manquer pour rien au monde. Saluons le talent incroyable d’une troupe d’artistes (chanteurs, danseurs, musiciens, techniciens, metteur en scène, chorégraphe…) qui a relevé le défi de faire revivre une œuvre culte du patrimoine français. Si vous ne devez voir qu’une comédie musicale, c’est celle-ci. Alors, n’attendez plus et tous à la Seine Musicale ! « Il se passe quelque chose à Monopolis ». 

Musique: Michel Berger

Paroles : Luc Plamondon

Mise en scène : Thomas Jolly

Assistant mise en scène : Samy Zerrouki

Chorégraphies : Sidi Larbi Cherkaoui

Kevin Vives

Direction Musicale et Arrangements additionnels : Victor Le Masne

Scénographie : Emmanuelle Favre

Costumes : Nicolas Ghesquière


Avec en alternance :

Cristal : Lilya Adad / Gabrielle Lapointe

Ziggy : Adrien Fruit / Nicolas Dorian

Stella Spotlight : Maag / Jeanne Jérôme

Marie-Jeanne : Alex Montembault

Gourou Marabout : Malaïka Lacy / Simon Geoffroy

Zéro Janvier : David Latulippe / Aurel Fabregues

Sadia : Manet-Miriam Baghdassarian / Ambriel

Johnny Rockfort : Côme / William Cloutier

 

Durée : 3h (avec entracte de 20 minutes)

En tournée en France, Suisse, Belgique, Canada jusqu'à fin 2024

 

Article : Audrey

MAJ : 21/01/2024

audrey@laruedubac.fr


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