Le théâtre immersif… Nous l’avons découvert avec « Smoke Rings » de la Compagnie de Libre acteur, il y a un peu plus d’un an. Aussi, lorsque cette même compagnie monte un nouveau spectacle, c’est tout naturellement que nous répondons au rendez-vous.

D’emblée, on nous présente l’histoire d’une troupe qui tente de monter « Cyrano de Bergerac », ce qui nous fera découvrir l’envers du décor : les doutes des comédiens, l’inquiétude de la metteuse en scène enceinte d’un de ses acteurs qui préfère passer du temps à séduire les autres femmes de la compagnie, la maladresse de la jeune costumière perdue dans cette équipe déjà formée, la frustration de l’assistante qui doit penser aux autres avant de penser à elle…

Si « Smoke Rings » nous faisait entrer dès le départ dans le jeu de l’immersif en suivant une rose de couleur différente, ici la pièce semble commencer de façon plus classique jouant sur la mise en abyme du théâtre dans le théâtre mais incluant le public rapidement en lui donnant le rôle du chœur dans la première scène de Cyrano. Un tournant semble s’opérer lorsque, durant une séance de relaxation, digne de n’importe quelle répétition théâtrale, l’un des comédiens nous pose cette question : serions nous prêt à revivre cette vie avec toutes ses joies et toutes ses peines ? Question qui s’avèrera récurrente tout au long de la pièce et augmentera l’implication du spectateur au fur et à mesure de la tension dramatique.

Car aller voir « Cyrano Ostinato Fantaisies », ce n’est pas simplement voir une pièce, c’est vivre une réelle expérience émotionnelle, sensorielle, voire égotique totalement indicible. On y découvre trois niveaux de lecture : les références culturelles et littéraires (avec « Cyrano de Bergerac » évidemment, mais aussi le « Dom Juan » de Molière ou encore le mythe de l’androgyne de Platon), le récit des personnages entre eux (si riches que l’on s’y identifie forcément), et enfin une strate plus ésotérique s’interrogeant sur la vie, l’amour et surtout la mort (qui renvoie le spectateur à son être profond, ses douleurs ancrées dans l’âme et dissimulées par une certaine résilience).

Si, au départ, on peut penser que l’aspect immersif est moins présent que dans la pièce précédente, cela se révèle complètement faux puisque nous devenons les acteurs intérieurs de cette histoire. Plus l’action avance, plus on perd les repères du temps : on en oublie le lieu et l’heure, on s’égare dans les volutes de fumée d’un incendie… Le tout étant ponctué par des moments musicaux emplis de grâce. Au rythme de l’accordéoniste et des chants, naissent la tristesse, la rage, le désespoir, la douleur, la confiance, l’amour…

Pour tout le reste, nous ne pouvons que vous encourager à découvrir cette pièce par vous-mêmes car chaque spectateur ne vit pas la même expérience et on ne peut même pas vous assurer que la voir deux fois vous le permettrait. Tout est formidablement orchestré pour que l’on vive un moment unique qui s’affranchit des codes. Mieux vaut pour cela être préparé à s’ouvrir entièrement à ce qui est présenté. Non, vous ne verrez pas une énième version de Cyrano mais vous assisterez tout de même à sa mort tragique. Non, vous ne déambulerez pas dans le théâtre comme on vous le demandera. Non, vous ne ressortirez pas indemnes d’une telle représentation. Mais n’est-ce pas la fonction première du théâtre ? Surprendre et émouvoir ? Faire rire et faire pleurer ? Donner à voir ce que l’on refuse de voir ? Et surtout faire comprendre que rien ne vaut la vie, quelles qu’en soient les douleurs. Carpe diem, comme dirait le philosophe…

Servie par une troupe d’acteurs brillants, « Cyrano Ostinato Fantaisies » est un ovni de la scène théâtrale. C’est un véritable hymne à la vie qui ne vous laissera pas insensibles. Grandiose…

Une Mise en scène de Sébastien Bonnabel, assisté par Laura Mariani.

Avec : Pauline Cassan, Marie Combeau, Marine Dusehu, Marie Hennerez, Pascale Mompez,

Eric Chantelauze, Philippe De Monts, Stéphane Giletta et Emanuele Giorgi, Kevin Rouxel.

Costumes et accessoires par Julia Allègre

Accordéoniste : Zsuzsanna Varkonyi.

Reprise les dimanches du 10.03 et 31.03.19

Prix : de 26€ à 38€

Durée : 2h20

Article : Audrey

20/02/2019

audrey@laruedubac.fr