Découvrir une création est toujours un grand moment, surtout lorsqu’on a été privé de spectacle vivant pendant des mois, que ladite création a été retardée pour cause de crise sanitaire et que la pièce est écrite par une autrice de talent aussi inventive.
Le récit nous plonge dans l’Amérique des années 1960 à 1970 avec en toile de fond la conquête spatiale. On retrouve l’ambiance des bars américains, de la pizzeria, de l’insouciance hippie face au côté plus raisonné des scientifiques. Les costumes (de Bérengère Roland) reproduisent parfaitement cette époque à travers les robes, les chaussures, les perruques des actrices. On se sent transporté dans le temps et prêts à nous envoler avec ces personnages. La petite et la grande Histoire se mêlent pour notre plus grand bonheur, notamment avec les images d’archives de Kennedy, Neil Amstrong ou dans les musiques choisies (de Simon Meuret). La vidéo y a une part belle grâce aux projections (de Raphaël Foulon) qui participent à l’atmosphère onirique de la mise en scène (de Mémody Mourey) et de la scénographie (d’Olivier Prost).
On a envie de croire en Jack Mancini, véritable anti-héros, abandonné par son père, élevé par une mère dépressive et irresponsable, propulsé dans un univers totalement différent grâce aux études et à ses capacités intellectuelles hors-normes. Jordi Le Bolloc'h l’interprète avec toute la fougue, la passion et la désinvolture nécessaires. Malgré ses défauts et ses failles, on s’attache à son personnage et on ferait tout pour l’aider à se réaliser, en tant que scientifique évidemment mais surtout en tant qu’homme.
Les comédiens enchainent les rôles avec une aisance virevoltante, c’est une trentaine de personnages qu’ils incarnent tout au long de la pièce. Ils déplacent les décors posés sur des roulettes, ils changent de costume à une vitesse vertigineuse, tout en restant vrais dans leur jeu. Éric Chantelauze, que nous avions adoré dans « Smoke rings » ou plus récemment dans « Cyrano Ostinato Fantaisies », est parfait en professeur de psychologie touché par ce jeune homme pas comme les autres mais également enchainé dans un double jeu qu’il ne maîtrise pas. Nicolas Lumbreras (inoubliable Feydeau à la création d’ « Edmond »), explose à travers ses divers rôles à dominante comique : tantôt curé, général, animateur de karaoké ou encore cosmonaute. Anne-Sophie Picard nous gratifie de quelques chansons, elle qui s’est fait connaître avec « Le soldat rose ». Elle interprète la femme de Jack avec beaucoup de justesse et tendresse. Valentine Revel-Mouroz fait preuve d’une énergie débordante à grand renfort de mimiques et d’expressions. Alexandre Texier fait preuve d’un grand charisme, notamment dans son rôle de Lip.
A travers ces personnages, on s’interroge sur ce qui fait de nous des géants, ce qui nous pousse à agir vers certains buts qui paraissent parfois hors d’atteinte et l’importance de s’accrocher à ses rêves sans jamais oublier ceux qui nous entourent. Se construire est une épreuve difficile et les choix que nous faisons nous conduisent à des chemins de vie différents, le tout étant de ne pas se perdre dans cette route.
« La Course des géants » est un réel coup de cœur de La rue du Bac. A mi-chemin entre une pièce de Michalik et « La Machine de Turing » de Benoit Solès, on se laisse séduire par le talent, l’humour, l’intelligence d’une pièce qui fait du bien à l’âme. Nul doute que ces représentations ne seront pas les dernières. Un immense bravo !