Arthur et Jeanne se rencontrent en soirée. Il renverse un verre de vin rouge sur elle et ils font peu à peu connaissance… jusqu’au premier baiser. S’ensuivront les premiers moments de vie à deux, les premiers fous rires. Ils ont tout pour être heureux et pourtant, un jour, Arthur part chercher du lait et des timbres et se retrouve perdu quand il ne se souvient plus en 5 minutes ce qu’il était venu chercher…
Dans son décor tout rose (à l’image de l’amour porté par chaque personnage pour l’autre), cette pièce nous embarque dans l’intime d’un couple face à la maladie. Les protagonistes revivent leur histoire dans l’ordre chronologique et nous égrènent l’évolution des symptômes en fonction des différents stades de la perte de mémoire d’Arthur. Régulièrement, ils se mettent sur le côté et commentent ce qu’ils ont senti à ce moment précis, leurs souvenirs émus, leurs joies, leurs regrets. On est frappé par la force des regards, des silences, des moments de complicité à voix basse.
Le son a un rôle extrêmement important dans le récit : que ce soit les chansons « Words don’t Come Easy » de F.R. David ou « We Are Young » de Fun, véritables hymnes à leur complicité, ou les différents effets sonores pour montrer le désordre qui s’installe dans l’esprit d’Arthur notamment au moment de créer un plan de table. On découvre la confusion des mots, des situations, la perte de repères, malgré l’envie viscérale de lutter contre la maladie. C’est poignant et perturbant mais jamais dérangeant.
On est frappé également par la force de Jeanne (interprétée par Marie-Julie Baup), face au trouble de son mari. On la suit du début à la fin dans son accompagnement, entre espoir, crainte, volonté de bien faire, accablement, envie que tout s’arrête, souhait de se raccrocher aux petits moments doux du passé. On partage sa douleur, qui est celle de nombreuses personnes face à la maladie de l’être aimé. Comment rester toujours optimiste une fois qu’on a accepté que le mal était là ? Comment survivre quand son partenaire ressemble davantage à un enfant qu’à l’homme dont on est tombé amoureuse ? Comment toujours le féliciter des petites réussites dont il fait preuve alors que sa mémoire disparaît peu à peu ? Comment ne pas s’en vouloir de n’avoir rien vu plus tôt ? Comment accepter qu’il vous oublie ? C’est tout cela, et bien plus encore, qui rend poignant le personnage de Jeanne qui garde, malgré tous les obstacles, son amour intact.
On est touché par Arthur (joué par Thierry Lopez), ce garçon très vivant, qui aime la vie, qui vit à 100% son amour pour Jeanne. Cherchant toujours à faire rire sa compagne, il touche le public par son naturel, son envie de mordre la vie pleines dents. Au fil de la pièce, il va changer, évoluer, au fur et à mesure que la maladie s’installe en lui. Les rendez-vous chez le médecin (caractérisés par une lumière bleue du décor) sont parmi les plus bouleversants. Il est tout simplement vrai dans son interprétation, jusqu’à la lettre finale, qui nous a émus aux larmes.
La mise en scène, créée par les acteurs eux-mêmes (qui signent d’ailleurs également l’adaptation de la pièce), met parfaitement en valeur l’intimité du couple et leur partage. L’espace scénique est utilisé avec intelligence et le contraste du rose de l’appartement avec la lourdeur de ce que les personnages vivent est saisissant.
« Oublie-moi » est un spectacle dont on ne sort pas indemne : on est traversé par une boule d’émotions mais on a encore plus envie de vivre. Les 4 Molières sont vraiment mérités et on se dit qu’on est loin d’oublier ces deux personnages. Un grand merci pour les émotions ! A voir absolument.