Le rideau se lève sur Issa, un jeune homme laissé pour mort dans la « Jungle » de Calais, pris en charge par les pompiers grâce à l’insistance de Peggy, la bénévole. Après quelques jours à l’hôpital, on découvre qu’Issa a perdu la mémoire et que la seule chose qu’il lui reste est son passeport érythréen. Peu à peu, Issa va rencontrer deux autres réfugiés, Ali et Arun, et chercher avec eux qui il est et trouver comment se faire une place dans ce monde.
Dès les premières minutes de la pièce, le public fidèle d’Alexis Michalik se ravira de reconnaître la patte de son auteur : des acteurs qui interprètent plusieurs rôles à la fois et changent de costume à une vitesse vertigineuse, des décors déplacés par la troupe elle-même, un rythme rapide qui joue sur les histoires à tiroirs. On aime à retrouver cette force du dramaturge de nous transporter dans les vies de plusieurs personnages à la fois, peints avec toujours autant de vérité et de justesse. Avec l’aspect grave du récit, on s’émeut bien sûr, on s’insurge parfois mais on rit aussi, car l’auteur trouve toujours le bon mot au bon moment. A une mise en scène efficace, s’ajoutent également des projections en fond de scène qui apportent réellement à l’avancée des péripéties. Elles sont parfaitement intégrées à ce qui se joue sur scène et agrémentent la narration, tout comme les diverses structures qui sont utilisées avec ingéniosité pour figurer tantôt un studio, tantôt un train, tantôt le poste des gendarmes. Le plateau est divisé en plusieurs espaces qui servent le propos.
Avec « Passeport », Alexis Michalik nous donne une photographie de la société française d’aujourd’hui, avec ses qualités, ses défauts, ses dérives, ses injustices. On reconnaît forcément certains discours dans les propos des personnages car l’artiste nous présente ici sa première pièce dite « engagée », même s’il avait déjà ébauché cela avec « Intra Muros ». Découvrir la France à travers les yeux d’Issa et de ses camarades, c’est essayer de regarder les choses autrement pour prendre un point de vue différent. Pourquoi décide-t-on de quitter son pays, de se mettre en danger de mort pour fuir ? Quelles sont les solutions pour ces hommes et ces femmes livrés à eux-mêmes et parqués dans des bidonvilles immenses dans un pays dont ils ignorent la langue ? Qui sommes-nous réellement ? Qu’est-ce que l’identité ? Ne se forge-t-on pas une histoire simplement pour suivre les traces qu’on nous a dictées ? Qu’est-ce que la différence ? Tant de questions que pose cette œuvre qui devrait être vue par le plus grand nombre pour le message positif qu’elle transmet. Car, oui, il est bon aussi de véhiculer de belles valeurs au théâtre.
Les acteurs interprètent leurs rôles d’une façon magistrale. Ils passent de l’un à l’autre avec une aisance incroyable, changeant de costume comme d’accent ou de langue. Le spectateur s’attache facilement aux personnages grâce à la puissance de leur incarnation par les comédiens qui les subliment. C’est ce mélange de force et de simplicité que l’on savoure également sous la direction d’Alexis Michalik. Les comédiens, que l’on a parfois déjà vus dans certaines de ses pièces, apportent leurs âmes dans leurs personnages et on a presque la sensation que l’histoire a été écrite pour eux.
Ce récit, dont nous ne dirons rien de plus pour ne pas gâcher le plaisir de la découverte, est parfaitement ficelé et on se délecte de la chute finale qui nous a particulièrement surpris. Tout est pensé, réfléchi et aucune place n’est laissée au hasard, chaque détail ayant son importance.
« Passeport » est une véritable réussite théâtrale (mise en scène, écriture, lumières, costumes, décors, musique…), servie par des acteurs époustouflants. Avec cette nouvelle création, Alexis Michalik nous embarque dans un voyage passionnant à travers la quête de l’identité et on le suit avec joie. A voir absolument.